GRAAALPS 2025 : Retour sur l’épopée d’Alain Rumpf

UNE PIZZA PERDUE DANS LA NUIT

Il y a des récits qui capturent parfaitement ce que représente GRAAALPS : une aventure gravel et bikepacking en ultra distance, brute, exigeante et profondément humaine. Celui d’Alain en est l’exemple parfait.

Sur 800 km entre Crans-Montana et Mandelieu, il a vécu ce qui fait l’essence du bikepacking alpin : des cols sauvages, des choix de matériel qui prennent soudain toute leur importance, des bivouacs improvisés, du café trop rare… et ce fameux panino au speck et fromage bleu qui rappelle que l’ultra distance, c’est aussi une immersion dans la culture et la cuisine locales.

Dans cette interview, Alain revient sur les moments forts de son aventure GRAAALPS : les secteurs gravel mythiques — parfois roulants, souvent impitoyables — les passages alpins spectaculaires, les moments de doute, les petites victoires, et cette magie propre à l’aventure : un silence en altitude, un lever de soleil, un concert improvisé dans un village, ou un sandwich qui devient un souvenir pour la vie.

Un témoignage sincère, drôle et lucide, qui illustre mieux que tout la richesse du bikepacking longue distance dans les Alpes.

L’esprit Suisse de la GRAAALPS au départ de Crans-Montana, en Juillet 2025 - photo: @Edouard Hanotte


Alain, quand tu repenses à ces 800 km entre Crans-Montana et Mandelieu, quel est le tout premier souvenir qui te revient ?

Un sandwich au speck et au fromage bleu.

Le matin du quatrième jour, je me suis arrêté à Sant’Albano Stura, un village entre Turin et Cuneo. A l’épicerie, en plus du Coca et des Snickers qui constituent la base de mon régime alimentaire sur les courses de bikepacking, je me suis offert un sandwich. Mais pas n’importe lequel.

En Italie, on peut se faire préparer des sandwiches maison dans la plupart des épiceries, dont même les plus petites proposent un assortiment de fromage et de charcuterie à la coupe. Dans mon italien hésitant, j’ai laissé carte blanche au propriétaire, pour me préparer “son meilleur panino”. Il a réagi comme si je lui avais donné une mission sacrée. Il a bien réfléchi avant de choisir du speck (jambon cru fumé typique du Tyrol italien) et un fromage bleu local. 

J’ai mangé mon sandwich quelques heures plus tard, à l’approche du pied du col de la Lombarde. Même si la digestion du fromage bleu a quelque peu ralenti mon ascension, ce sandwich m’a apporté la joie que je recherche à travers le bikepacking: la découverte d’un pays, de ses gens, de sa cuisine, de ses traditions.

Alain Rumpf et son Sandwich au speck et au bleu - photo credit : @aswisswithapulse


Quel a été pour toi le passage ou le secteur qui symbolise le mieux l’esprit GRAAALPS : brut, beau, exigeant, mais incroyablement gratifiant ?

Le Passo San Giacomo, bien sûr. A vélo, il n’existe pas beaucoup de passages entre le Valais et l’Italie, une région hérissée de 26 sommets de plus de 4’000 mètres d’altitude. Je ne connaissais pas ce col, qui impliquait sur la carte un petit crochet par le Tessin depuis le col du Nufenen. 

La montée du col s’est révélée être plus qu’un petit crochet et j’ai compris pourquoi ce passage des Alpes reste peu connu parmi les cyclistes. J’ai bataillé pendant 2 heures pour atteindre le sommet à 2’307 mètres, d’abord sur le vélo, puis à pied. Comme j’aime les euphémismes, je dirais que ce n’était en effet pas très roulant. Et au sommet, les marcheurs et les VTTistes (électriques) étaient un peu surpris de me voir arriver. 

Pour moi, le Passo San Giacomo correspond parfaitement à mon idée du bikepacking alpin. C’est l’aventure avec un petit a, la chose dont tu ignorais avoir besoin.

Passo San Giacomo - passage de la Suisse à l’Italie sur la GRAAALPS 2025 - photo: @Edouard Hanotte

Y a-t-il eu un moment de doute, de décrochage mental ?
Comment tu l’as géré, et qu’est-ce qui t’a fait repartir quand c’était vraiment difficile ?

Oui. Deux, même.

Tout d’abord, j’ai pris le départ de Crans-Montana avec une pizza coupée en 2 attachée sur le dessus de ma sacoche de selle. Pas assez, manifestement: une moitié est tombée en route, et je m’en suis aperçu vers 2h30 du matin au moment de m’arrêter pour bivouaquer dans la vallée de Conches. Ça a été un moment très dur, j’ai ressenti un vide terrible (dans mon estomac) lorsque j’ai fini de manger la moitié qui me restait.

Heureusement, la demi pizza n’était pas perdue. Mes amis Svenja et Bastien l’ont trouvée sur le chemin et l’ont mangée un peu plus tard. Bien sûr, ils m’ont envoyé une photo. Et ça, c’était encore plus dur.

Le deuxième moment difficile: le matin du cinquième jour. Après un bivouac sur les pentes du col de la Couillole, je suis reparti vers 4h30 et je suis arrivé à Touët-sur-Var vers 7h, avant l’ouverture du bar du village. Résultat: j’ai dû rouler encore 3 heures pour franchir une bosse au milieu de nulle part avant de trouver un café ouvert à Roquesteron.

Presque 6 heures sur le vélo avant mon premier café: je ne souhaiterais pas cela à mon pire ennemi (c’est une expression, je ne crois pas que j’aie un pire ennemi dans ma vie).

la Pizza d’Alain, retrouvée par ses amis Svenja et Bastien

Sur un parcours en autonomie comme GRAAALPS, chaque choix compte. Y a-t-il une décision (matériel, pacing, gestion du sommeil, alimentation) qui a tout changé dans ton aventure ?

Sur la Graaalps, j’aurais pu aller dans les bases de vie, dormir au chaud, manger convenablement, discuter avec d’autres humains. Mais non, j’ai choisi de perfectionner mon art balbutiant du bivouac.

Même si cela peut paraître un peu stupide, j’ai beaucoup appris de cette expérience: il y a des moustiques dans la plaine du Pô, l’air est froid près des rivières, dormir sous un auvent protège de la rosée, les animaux font plein de bruits bizarres la nuit mais les espèces que l’on trouve dans les Alpes ne veulent pas te manger.

Et maintenant, je me sens un semi-pro du bivouac. Merci la Graaalps.


Qu’est-ce que les Alpes t’ont appris sur toi-même pendant ces 800 km ?

Que sans café, je ne fonctionne pas.

Et que j’aime vraiment l’Italie.


Quels ont été pour toi les moments “magiques” du parcours ?
Ces instants où tu réalises que la souffrance vaut largement la vue, le silence ou l’intensité du moment.

Je dirais plutôt une succession de moments, à la fin du quatrième jour: après avoir péniblement atteint le sommet du col de la Lombarde, j’ai retrouvé la banane sur le tarmac de la descente vers Isola 2000. Sur la carte, la suite en direction d’Isola s’annonçait du même acabit, mais il n’en fut rien: la trace nous envoyait sur une piste de DH, où j’ai été très fier de rester sur mon vélo - en position verticale la plupart du temps. 

Je suis arrivé à Isola à 18h59, juste à temps pour m’engouffrer dans l’épicerie du village qui était en train de fermer. Victoire! Après avoir fait le plein de Coca, de Snickers (et de Haribo), je me suis installé à la terrasse d’un resto pour manger mon vrai repas quotidien. En attendant mes lasagnes (pas terribles, je n’étais plus en Italie), j’ai eu droit à un concert live sur la place du village. Un groupe local a notamment massacré “J’ai Vu” de Niagara, les idoles de ma jeunesse.

Ensuite, nouveau changement de décor: j’ai quitté la frénésie musicale d’Isola pour grimper le col de la Couillole au soleil couchant. Il n’y avait pas une bagnole, je montais seul et j’étais lent. Ma principale distraction: lire les inscriptions sur la route qui avait vu passer le Tour de France l’année précédente.

Avant le sommet, trop fatigué, j’ai posé mon matelas dans la nuit sur le premier endroit venu. Il y avait du crottin de mouton partout, mais je m’en suis aperçu un peu tard.

Un concentré d’images, de sons, de goûts et de senteurs: voilà la magie de la Graaalps.


Comment décrirais-tu GRAAALPS à quelqu’un qui n’a jamais mis les roues dans cet univers ? Qu’est-ce qui le distingue des autres aventures gravel ou ultra que tu as vécues ? car tu en as vécu pas mal…

La Graaalps, c’est un moyen d’accéder à un luxe rare de nos jours: la déconnexion. Pendant quelques jours, on n’a pas d’autre choix que de quitter les écrans qui polluent nos vies. Il n’y a plus qu’une seule chose qui compte: se rapprocher de l’arrivée. Plus d’emails, plus de messages instantanés, plus de “doomscrolling” sur les réseaux. A la place: manger, rouler, dormir. 

C’est un peu plus douloureux qu’un stage de détox digitale sur une île paradisiaque, mais c’est très efficace.

Alain Rumpf sur la GRAAALPS 2025 en plein déconnexion - photo: @edouard Hanotte


On croit savoir qu'à peu de choses prêt tu n'as pas complètement terminé l'aventure - tu peux nous expliquer ?

Peu après mon café salvateur à Roquesteron, j’ai remarqué une crevaison lente à l’avant. Rien de dramatique. En regonflant de temps en temps, j’ai pu continuer ma progression. Plus loin, vers Gréolières-les-Neiges, j’ai dû passer au plan B: un plug qui a tenu dix minutes, soit exactement le temps nécessaire pour me convaincre que j’étais sauvé avant de prouver que non.

Plan C: une chambre à air, qui a tenu 40 minutes. Les deux autres qui me restaient n’ont pas fait long feu et j’ai déclenché le plan D en appelant tous les magasins de vélo à la ronde pour trouver une solution. Pas de chance, j’étais loin de tout, on était samedi en fin de journée et personne ne pouvait m’aider.

Jusque là, j’avais tout géré de manière logique. Mais là, les émotions ont pris le dessus. La pluie commençait à tomber, j’avais un train réservé le lendemain matin pour rentrer à la maison, je ne voyais pas comment je pouvais rejoindre l’arrivée qui n’était plus qu’à 70 kilomètres… j’ai décidé de scratcher.

C’est un grand classique de l’ultra : une décision impulsive qui te semble évidente sur le moment et terriblement stupide dès que la pression retombe. Bien sûr que j’aurais pu terminer, j’aurais même pu marcher et atteindre l’arrivée dans les délais le lendemain soir! Et prendre un train pour rentrer à la maison plus tard. Ou remplir mon pneu avec de l’herbe, des habits… on voit de tout sur les courses de bikepacking. 

Pendant le voyage du retour, je me suis senti vraiment nul. Mais après tout, ce n’est qu’une course de vélo... et j’ai appris une bonne leçon de mécanique: quand on roule en tubeless, les mini crevaisons colmatées par le liquide préventif laissent entrer des débris à l’intérieur du pneu. Il faut donc prendre le temps de bien nettoyer l’intérieur de son pneu avant de mettre une chambre à air, même si on s’en met partout. 

Moralité : que ce soit un pneu ou ta tête, si tu ne nettoies pas ce qu’il y a dedans, ça finit toujours par exploser.


Tu reviendras? 

Je n’ai pas pour habitude de revenir sur les mêmes courses car il y a tant d’événements à découvrir… mais là, j’ai un petit goût d’inachevé et j’entends que le parcours sera très différent en 2026. Je réserve ma décision ;-)

Un dernier mot à tous ceux qui hésitent?
Une leçon, une émotion, ou quelque chose que tu as envie de transmettre à ceux qui rêvent de tenter GRAAALPS 2025.

Comme le dit si bien Brendan Leonard: “Nous avons tous besoin de passer plus de temps à faire les choses que nous aimons, d’aller dans des endroits qui nous rappellent à quel point nous sommes petits, de rire de nous-mêmes, et d’avoir de temps en temps un peu froid, un peu faim, un peu peur.”

La Graaalps est l’occasion parfaite de mettre en pratique ce précepte d’un grand philosophe de notre temps.



Un participant au départ de la GRAAALPS 2025 - Crans Montana - photo: @Edouard Hanotte

Vous voulez revivre 2025, c’est par ici: https://www.youtube.com/watch?v=d4uCDCwaOOw

En savoir plus sur le parcours et la GRAAALPS 2026: https://www.raceacrossseries.com/en/graaalps-2026

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